En juin 2008, je me suis rendu à Nosy Be (Madagascar), sur le canal du Mozambique. Une fois sur place je suis allé à la nage sur l’île de Nosy T***a toute proche, sur laquelle j’ai trouvé trois «maisons ».

J’ai été accueilli par des jeunes femmes et quelques enfants qui m’ont fait faire visiter l’île. Nous avons rencontré également deux hommes qui travaillaient sur quelques plantations.

Au retour, un homme plus âgé que tout le monde appelle «Papa» nous attendait. Au cours d’une longue discussion j’apprends qu’il est le chef de famille et le chef de l’île, mais aussi premier ministre d’un prince et « sorcier ». Il communique avec les esprits et est en charge des rituels. Il y a sur l’île un arbre sacré.

Je leur demande alors si je peux revenir les interviewers le lendemain avec ma caméra, ce qu’ils acceptent.

Le « papa » me raconte comment sa mère a acheté l’île aux français, comment elle a planté des bananiers, cafetiers et toutes sortes de plantes comestibles afin d’en faire commerce.

Il me raconte qu’il est né et qu’il a toujours vécu là. Il en va de même de ses deux fils et deux filles.

Dans le courant de l’année ils font des va-et-vient entre l’île et le village de pêcheurs situé sur l’île principale, où ils ont une maison.

Toutes sortes de rumeurs et légendes courent à propos de cette île et de ses habitants : les gens qui y seraient enterrés, ceux qui ont voulu l’acquérir, les mines qu’elle recèlerait malgré sa taille minuscule.

Je me lie un peu plus avec un des fils, Saïd. Il est un piroguier hors pair et me fait faire le tour de l’île et des environs. Je me rends de la sorte chaque jour sur l’île, tissant toujours un peu plus de liens avec cette famille.

Deuxième récit :

En novembre 2008, je me suis vite rendu compte qu’il y a avait un fossé voire un gouffre entre mon projet et sa faisabilité. Je me suis donc adapté afin de garder le fond et de modifier la forme.

Le fond restant cette ligne directrice qu’est la fiction de l’écrivain Daniel Defoe : débarquer sur cette île, s’y implanter et y fonder « Libertalia ».

Il fallait donc avant tout que je débarque officiellement sur l’île.

J’ai demandé au « papa » si il voulait bien organiser un rituel pour demander aux esprits de bénir notre rencontre, ce qu’il a accepté.

Nous avons organisé une grande fête qui dura trois jours et au cours de laquelle un zébu fut sacrifié comme offrande.

J’ai pu produire à partir de l’ensemble de ces événements des photos et vidéos qui sont la base, le matériel, d’œuvres à venir.

Le lendemain, « papa » est venu me parler. Il m’a demandé de faire quelque chose pour lui et sa famille, de m’installer sur l’île afin de les aider. Cette demande allait dans le sens du livre de Defoe.

Je décidais donc de construire sur l’île mon Atelier qu’ils pourraient louer en mon absence et qui servirait au développement de mon projet.

Troisième récit :

En mars 2009, s’est produit un coup d’état à Madagascar.

J’y suis malgré tout retourné trois fois afin de poursuivre mon projet qui a évolué au fur et à mesure des problèmes qui furent nombreux.

J’ai tout d’abord construit un solide bungalow, ce qui fut long et compliqué.

Une fois sur place, cette île est devenue un espace mental, un espace où je pouvais expérimenter un art en dehors de son contexte traditionnel comme je le désirais dans mon projet initial.

J’ai alors eu envie de recontextualiser des œuvres déjà existantes, et j’ai demandé à trois artistes de réadapter une de leurs œuvres que j’avais choisie, sous la forme d’un protocole facilement réalisable à la vue des contraintes sur place.

J’ai réalisé ces œuvres, qui se noient dans le paysage et ne sont ni indiquées, ni mentionnées. Elles sont simplement là.

Une fois rentré en France, j’ai appris que les gens de l’île les avaient détruites, pensant que c’était de la magie noire suite à des événements survenus sur place. Un de mes objectifs, élaborer « une œuvre qui se dégage des contraintes classiques pour faire face à de nouvelles contraintes » était clairement atteint même si sa validation passait par la destruction des œuvres.